Conscients de la nécessité de protéger les investissements étrangers tout en promouvant le développement durable au sein du continent africain, les Etats membres de l’Union Africaine ont décidé en 2008 d’entamer un ambitieux projet de code d’investissements commun, appelé le Code Panafricain d’Investissements. Le projet de ce code a été achevé en décembre 2016.
Nous allons analyser les dispositions de ce projet en se focalisant tout particulièrement sur celles relatives à l’enjeu phare de ce code, celui du développement durable, ainsi que celles relatives aux obligations spécifiques des investisseurs.
Le Développement Durable comme Enjeu Phare du Code Panafricain d’Investissements
Le développement durable constitue la pierre angulaire du Code Panafricain d’Investissements.[1] D’emblée, cet objectif est mis en avant dans le Préambule. En effet, ce dernier souligne la conscience des Etats membres de « l’importance grandissante du développement et du renforcement des marchés financiers et des capitaux, ainsi que du rôle joué par les investissements et le secteur privé en matière de capacité de production, de croissance économique et de développement durable », ainsi que leur droit de « réglementer toutes les activités liées aux investissements sur leurs territoires en vue d’atteindre les objectifs de politique nationale et de promouvoir le développement durable ».
Il est notamment rappelé que cette approche s’insère dans la politique retenue par les Objectifs du développement durable, puis par le Cadre de politique d’investissement au service du développement durable de la CNUCED.
Cet objectif est également mis en valeur dans l’Article 1 du Code Panafricain d’Investissements qui dispose que « [l’] objectif du présent Code est de promouvoir, de faciliter et de protéger les investissements qui favorisent le développement durable de chaque Etat membre, et en particulier celui dans lequel l’investissement est réalisé ».
Remarques Générales sur les Dispositions du Code Panafricain d’Investissements
Comme tout instrument portant sur la protection des investissements étrangers, le Code Panafricain d’Investissement contient plusieurs séries de dispositions qui peuvent être classées en différentes catégories : d’une part les dispositions portant sur la compétence ; celles portant sur la protection substantielle des investissements ; et celles enfin, qualifiées de « diverses ».
Dispositions Relatives à la Compétence
Ces dispositions ont trait à la notion d’investissement et celle d’investisseur.
Notion d’investissement. – L’Article 4(4) du Code Panafricain d’Investissements définit l’investissement comme « une entreprise ou une société […] qui est établie, acquise ou élargie par un investisseur, y compris par la constitution, le maintien ou l’acquisition d’actions, obligations ou autres titres de propriété de cette entreprise, à condition qu’elle soit établie ou acquise dans le respect du droit de l’Etat d’accueil ».
Ce même Article prévoit un large éventail de biens pouvant être possédés par une entreprise ou une société, qui tombent ainsi dans le périmètre de la notion d’investissement, à savoir :
a) des actions, parts, obligations et autres formes de participation au capital de l’entreprise ou d’une autre entreprise ;
b) un titre de créance d’une autre entreprise ;
c) des prêts à une entreprise ;
d) des biens mobiliers et immobiliers et autres droits de propriété tels que des hypothèques, privilèges ou gages ;
e) des créances liquides ou créances contractuelles ayant une valeur financière ; ou
f) des droits d’auteur, savoir-faire, fonds de commerce, droits de propriété industrielle tels que des brevets, marques déposées, modèles industriels et appellations, dans la mesure où ils sont reconnus par le droit de l’Etat d’accueil.
Cependant, il est expressément prévu que la notion d’investissement n’inclut pas certains types de biens ou certaines activités, notamment :
i) les titres de créance établis par un gouvernement ou les prêts consentis à un gouvernement ;
ii) les placements de portefeuille ;
iii) les créances liquides découlant uniquement de contrats commerciaux de vente de produits ou de services par un ressortissant ou une entreprise située sur le territoire d’un Etat membre à une entreprise localisée dans un autre Etat membre, ou l’octroi de crédits en vertu d’une transaction commerciale, ou toutes autres créances qui n’impliquent pas les intérêts visés aux alinéas (a) à (g) ci-dessus ;
iv) les investissements à caractère spéculatif ;
v) les investissements dans tout secteur sensible pour le développement de l’Etat d’accueil ou qui peuvent avoir une incidence négative sur son économie ;
vi) les activités commerciales.
Enfin, une importante précision quant aux caractéristiques principales de la notion d’investissement est apportée. Ainsi, un investissement doit porter sur « une activité commerciale substantielle conformément à l’alinéa 1, l’engagement de capitaux ou d’autres ressources, l’espoir d’un gain ou d’un profit, la prise de risque, et une contribution significative au développement de l’Etat d’accueil ».
Notion d’investisseur. – L’Article 4.5 définit l’investisseur comme « tout ressortissant, entreprise ou société d’un Etat membre, ou un ressortissant, une entreprise ou une société de tout autre pays qui a effectué un investissement dans un Etat membre ». A ce titre, le ressortissant correspond à « une personne physique qui est citoyen d’un Etat membre » (Article 4.9), et l’entreprise renvoie à « toute entité dûment constituée en vertu du droit applicable d’un Etat membre à condition qu’elle mène une activité commerciale substantielle dans l’Etat membre où elle est réalisée. Une activité commerciale substantielle nécessite un examen global, au cas par cas, de toutes les circonstances, y compris : (i) le montant de l’investissement dans l’Etat d’accueil, (ii) le nombre des emplois créés, (iii) son incidence sur la collectivité locale, et (iv) la durée pendant laquelle l’entreprise a été en activité ».
Concernant notamment l’activité commerciale substantielle, cette disposition est intimement liée à la question de jus standi des investisseurs, personnes morales, puisqu’elle empêche toute entité n’ayant pas d’activité substantielle sur le territoire de l’Etat hôte d’accéder à l’arbitrage d’investissement. Cette définition met alors un terme au phénomène dit de treaty shopping procédural.
Dispositions Relatives à la Protection Substantielle des Investissements Etrangers
Le Code Panafricain d’Investissements contient certains principes essentiels de protection des investissements étrangers. Puisque ces principes figurent dans la majorité des instruments juridiques en la matière, nous allons nous contenter d’une énumération non détaillée :
- Traitement de la nation la plus favorisée (Articles 7 et 8) ;
- Traitement national (Articles 9 et 10) ;
- Obligations en matière d’expropriation (Articles 11 et 12) ;
- Principe du libre transfert des fonds (Articles 15 et 16).
Toutefois, force est de constater que, contrairement à la majorité des instruments sur la protection des investissements étrangers, le Code Panafricain d’Investissements demeure silencieux quant à l’une des dispositions emblématiques de l’arbitrage d’investissement, celle du traitement juste et équitable. L’une des raisons expliquant une telle exclusion réside dans le fait que le TJE est susceptible de limiter le pouvoir de régulation des Etats membres dans les domaines considérés comme « sensibles », notamment en matière de développement durable[2]. La même exclusion concerne le principe de protection et de sécurité pleines et entières.
Obligations Spécifiques des Investisseurs
L’une des particularités du Code Panafricain d’Investissements est qu’il impose des obligations de manière équitable tant aux Etats qu’aux investisseurs étrangers. Ceci le distingue des autres instruments en la matière qui, dans la majorité des cas, n’imposent des obligations qu’à la charge des Etats. Ainsi, l’Article 2(2) prévoit que « [l]e présent Code définit les droits et obligations des Etats membres ainsi que des investisseurs, et les principes qui y sont énoncés ».
En ce qui concerne les obligations s’imposant aux investisseurs, le Code en prévoit six séries :
Obligations Relatives à la Gouvernance d’Entreprise
La première série d’obligations des investisseurs concerne la transparence, notamment comptable, et le respect des exigences nationales et internationales de gouvernance d’entreprise. L’Article 19 énonce que les investissements doivent être « conformes aux normes nationales et internationales de gouvernance d’entreprise dans le secteur concerné, en particulier en ce qui concerne la transparence et les pratiques comptables ».
A cet effet, l’Article 19.3 exige que les investisseurs :
a) veillent au traitement équitable de tous les actionnaires, conformément à la législation nationale ;
b) encouragent une coopération active entre les entreprises et les actionnaires par la création de richesses, d’emplois et la viabilité d’entreprises financièrement saines ;
c) veillent à la diffusion précise et en temps utile de toutes les informations concernant l’entreprise, y compris les informations sur la situation financière, les résultats, la propriété, la gouvernance de l’entreprise, les risques liés aux passifs environnementaux, et toute autre question, conformément à la réglementation et aux exigences pertinentes ; et
d) veillent à la diffusion des informations relatives aux politiques en matière de ressources humaines telles que les programmes de développement des ressources humaines.
Obligations Socio-Politiques
La deuxième série d’obligations des investisseurs touche au cadre socio-politique.
Conformément à l’Article 20, les investisseurs doivent notamment :
a) le respect de la souveraineté, de la législation, de la réglementation et des pratiques administratives nationales ;
b) le respect des valeurs socio-culturelles ;
c) la non-ingérence dans les affaires politiques internes ;
d) la non-ingérence dans les relations intergouvernementales ; et
e) le respect du droit des travailleurs.
De même, les investisseurs doivent s’abstenir de se livrer à des pratiques anticoncurrentielles ou à celles ayant pour but d’influencer la nomination d’agents publics, ou le financement des partis politiques.
Obligations Relatives à la Prohibition de la Corruption
La troisième série d’obligations concerne la prohibition des pratiques de corruption, à la fois passive ou active, directe ou indirecte.
A cet effet, l’Article 21 prévoit que les investisseurs « n’offrent, ne promettent ou n’octroient aucun avantage illégal ou indu ni don de nature pécuniaire ou autre, directement ou par des intermédiaires, à un agent public d’un Etat membre, à un membre de sa famille, à l’un de ses associés ou à toute autre personne afin que cet agent ou un tiers agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exercice de ses fonctions officielles ».
Obligations Relatives à la Responsabilité Sociale des Entreprises
La quatrième série d’obligations vise la responsabilité sociale des entreprises dans la mesure où elle impose le respect de « la législation, de la réglementation, des directives administratives et des politiques de l’Etat d’accueil » et assure que les objectifs économiques des investisseurs « ne sont pas en contradiction avec les objectifs de développement social et économique des Etats d’accueil et sont sensibles à ces objectifs ».
De même, dans le prolongement de la promotion du développement durable des Etats d’accueil, l’Article 22 exige des investisseurs de contribuer « au progrès économique, social et environnemental ».
Obligations Relatives à l’Utilisation des Ressources Naturelles
Toujours dans l’optique de la promotion du développement durable, les investisseurs se voient imposer des obligations relatives à l’utilisation des ressources naturelles. L’Article 23 prévoit que l’exploitation ou l’utilisation des ressources naturelles locales ne doit pas se faire « au détriment des droits et intérêts de l’Etat d’accueil ». De plus, les investisseurs doivent veiller « au respect des droits des populations locales » et éviter « les pratiques d’accaparement des terres, préjudiciables à ces communautés ».
Ethique Commerciale et Droits Humains
Enfin, l’Article 24 impose aux investisseurs le respect de l’éthique commerciale et des droits humains. Cette disposition précise que ces objectifs ne peuvent être atteints qu’en respectant les principes directeurs suivants :
a) promouvoir et respecter la protection des droits humains internationalement reconnus ;
b) veiller à ne pas être complices de violations des droits humains ;
c) éliminer toutes les formes de travail forcé ou obligatoire, y compris l’abolition effective du travail des enfants ;
d) éliminer la discrimination en matière d’emploi et dans la vie professionnelle ; et
e) veiller à un partage équitable des richesses issues des investissements.
Conclusion
Même si le Code Panafricain d’Investissements a été élaboré au sein de l’Union Africaine dans sa politique d’intégration, il appert de son Article 2 que ce Code n’est qu’un simple « instrument d’orientation » pour les Etats membres.
Par conséquent, comme le précise l’Article 3, il n’a pas vocation à affecter « les droits et obligations des Etats membres découlant de tout accord d’investissement existant ». Toutefois, les Etats membres sont entièrement libres de réviser ces dispositions, et de les « rendre contraignant[es] afin qu’[elles] remplace[nt] les traités bilatéraux d’investissement intra-africains (TBI) ou les chapitres consacrés aux investissements contenus dans les accords commerciaux intra-africains après un délai qu’ils déterminent ou après l’extinction de ces traités conformément à leurs dispositions pertinentes ».
Cependant, son potentiel reste incontestable.
Zuzana Vysudilova, Aceris Law LLC
Code Panafricain d’investissements, Projet
[1] M. Mbengue, S. Schacherer, « The ‘Africanization’ of International Investment Law: The Pan-African Investment Code and the Reform of the International Investment Regime», 18 Journal of World Investment & Trade (2017), pp. 420-421: «In the African context, sustainable development goals are crucial given the important economic, social and environmental challenges the continent is still facing».
[2] M. Mbengue, S. Schacherer, « The ‘Africanization’ of International Investment Law: The Pan-African Investment Code and the Reform of the International Investment Regime», 18 Journal of World Investment & Trade (2017), pp. 429-430: «The reason is that the standard is apt to limit more than other standards the regulatory freedom of host States, including for socially and environmentally sensitive areas».